jeudi 26 janvier 2012

CAFOUILLAGE POLITIQUE ET ENLISEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL


L’accélération des troubles sociaux pendant ces dernières semaines, a pris une tournure assurément dramatique avec des accès insurrectionnels incontestables. L’explosion des demandes sociales, que nous avions déjà vécue au lendemain de la révolution,  s’est doublée à présent de comportements nihilistes et d’une attitude de défiance à l’égard du pouvoir nouveau.
A la question de savoir comment nous en sommes arrivés là, je répondrais d’abord que ces dérives n’ont rien à voir avec les forces plus ou moins occultes auxquelles ont veut bien les attribuer. Loin d’être des exactions capricieuses, ces comportements extrêmes mettent à nu une aggravation des fractures de toutes sortes qui ont été à l’origine de la révolution. Ces comportements trouvent leur origine, à mon sens, dans la gestion démagogique de la période électorale suivie du cafouillage politique désastreux de l’après-élection qui a nourri la défiance intérieure à l’égard du gouvernement et compliqué les chances de rémission économique en nourrissant également la défiance extérieure.
Rappelons, en effet, que l’absence de libertés, la pensée unique, le régime du parti-État, l’orientation économique ultralibérale, la corruption généralisée et la prédation ont exacerbé l’individualisme et ébranlé le lien social, notamment au cours de la dernière décennie. Il en a découlé une fracture sociale, économique  et territoriale dont les manifestations ont été l’appauvrissement extrême de pans entiers de la société, la désertification économique de régions entières, la généralisation des comportements individualistes, la banalisation des passe-droits et le pervertissement des institutions.
Durant l’après-révolution, les nombreux soubresauts qui ont secoué le pays et dont la lame de fond était fondamentalement sociale, avaient néanmoins privilégié les avancées du processus politique qui nous a conduits au processus constitutionnel actuel. Fortes d’une situation économique encore tenable, aussi bien la population que les forces politiques considéraient implicitement que la rénovation politique primait l’urgence sociale. L’organisation des élections était considérée comme un cap crucial qui méritait quelques sacrifices temporaires. Le dernier gouvernement provisoire avait géré les secousses sociales en se focalisant sur le cap électoral, aidé en cela par son engagement à ne pas être partie prenante à la course politique.
A l’approche des élections, la surenchère électorale avait laissé entendre que la mise en place d’une assemblée allait permettre de répondre à toutes les demandes en suspens. Affirmation on ne peut plus démagogique. Dès le lendemain des élections, cependant, et pendant plusieurs semaines, les trois partis de la majorité allaient offrir à la population le spectacle de personnes obnubilées par le partage des portefeuilles et des privilèges en dehors de tout engagement programmatique qui aurait suggéré leur souci des urgences du pays et rassuré la population en attente. La démission impromptue du gouvernement provisoire sortant n’y fit rien. Censée produire un électrochoc sur le nouveau pouvoir, elle lui causa tout au plus de la contrariété, ne hâta pas la formation du gouvernement et donna à la population encore plus de raisons de s’en défier.
Puis vint l’épisode du vote de la loi d’organisation des pouvoirs publics. La tentation hégémonique évidente du parti Nahdha et le refus de la troïka de s’engager sur la durée de la période transitoire sans qu’un programme économique vienne légitimer de tels desseins, constituèrent une présomption de plus que les préoccupations des nouveaux gouvernants étaient fondamentalement politiques.
L’invitation de figures du rigorisme religieux dans le monde, la banalisation des dérapages haineux des extrémistes, les déclarations hasardeuses du Président sont autant d’actes cavaliers qui achèvent notre tourisme et brouillent notre politique étrangère avec toutes les conséquences désastreuses sur nos relations économiques avec nos partenaires historiques, principalement européens.
Enfin, face à un gouvernement peu réactif aux demandes sociales des plus démunis et qui fait preuve d’un laxisme complaisant et partial envers les exactions farfelues de groupuscules religieux dans certaines régions et à l’université et qui hypothèquent le sort de pans entiers de la société, il n’est pas étonnant que la fracture sociale exacerbée conduise les gens au désespoir le plus destructeur et aux comportements insurrectionnels.
Pour terminer, je dirais que la déliquescence de l’Etat, le maniement maladroit de nos relations extérieures et la cassure sociale qui s’accentue nous font passer de la formidable bouffée d’espoir née de la réussite des élections à une morosité générale née de la perception négative que les Tunisiens ont de leur avenir et qui risque d’affecter leurs décisions de consommation les plus anodines et déprimer ainsi une économie déjà mal en point.

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