jeudi 12 janvier 2012

Médias : neutralité, dites-vous ?


Une pancarte brandie le 9 janvier à la Kasbah martelait la demande « populaire » que l’information soit « neutre, neutre, neutre » (sic). C’était dans le cadre d’une contre-manifestation organisée en marge de la journée d’action des journalistes pour la défense de la liberté des médias.

Depuis l’investiture de l’actuel gouvernement, ce soupçon de « non neutralité » adressé à nos médias vise invariablement les organes de presse qui adressent à l’action gouvernementale une critique un tant soit peu pertinente... De sorte que la pertinence du propos et la profondeur des analyses sont balayées par « l’arme fatale » de la non neutralité présumée.

Cette accusation récurrente n’est pas sans rappeler les sempiternels réquisitoires de la presse de Ben Ali à chaque fois qu’un journaliste étranger de retour de Tunis dressait un portrait nuancé de la réalité ou même insuffisamment admiratif. Cependant, même raccommodé à la sauce révolutionnaire et présenté comme une demande populaire, cet argument de la neutralité ne résiste pas à l’analyse lucide.

En effet, s’il est demandé aux journalistes manifestant contre les atteintes à la liberté de la presse d’être neutres, ceci est proprement cynique. La nomination du directeur des infos du service public ainsi que celle des thuriféraires de Ben Ali à La Presse et la censure de l'Express, Le Point et le Nouvel Observateur constituent des précédents graves devant lesquels la « partialité » n'est pas une option, mais un devoir.

Si en revanche, on demande aux organes d’information d’être neutres, c’est au mieux une vue de l’esprit, au pire une farce d’autant plus difficile à gober qu’on est un tant soit peu doué de bon sens.

On sait, en effet, que pour traiter n'importe quel sujet par l’écrit ou par l’image, un angle d'attaque ou de prise de vue doit être choisi et ce choix ne peut être absolument neutre. Il obéit toujours à une motivation individuelle, sociale ou politique dans une certaine mesure partiale et pas forcément répréhensible. Il n’est qu’à juger de la « simple » et si « consensuelle » considération de l’intérêt national que chaque journaliste est censé considérer comme « sacré ». Quels sont les groupes sociaux à considérer ou privilégier dans cet intérêt national ? Les intérêts des différents groupes sociaux sont-ils équivalents et interchangeables? A un moment donné, ne peut-il pas être légitime de les « valoriser » différemment ? Rien de tout cela n’est simple, ni immuable et le journaliste le plus professionnel aura toujours à faire un choix. Le tout est de tempérer cette partialité par la distance critique, la nuance, le doute et l’humilité et d’observer une rigueur sans faille quant à la réalité des faits. Ce qui est demandé à un journaliste est un traitement équilibré de l’information et non un traitement neutre. Le Monde ou le New York Times ne sont assurément pas neutres, mais sont néanmoins des organes de presse de qualité, dans une vision particulière à chacun d’entre eux. On peut les apprécier différemment, mais nul ne peut nier leur professionnalisme. Du reste, à proscrire la partialité, ne faudrait-il pas commencer par bannir la presse des partis?..

Nos médias ont encore un long chemin avant de répondre aux standards de la profession dans les démocraties établies. A l’image de nos gouvernants, ils se cherchent encore, ont du mal à gérer leur passé et traiter avec les vestiges de l’ordre ancien. Une sorte de sélection naturelle devra se faire. Aidons-la par la liberté et non la censure. Les plus belles espèces naturelles parvenues à notre ère se sont affinées dans la nature libre et non dans un zoo. Seule la liberté régulée par les instances idoines et des citoyens vigilants fera que la « bonne monnaie chasse la mauvaise ». La transition démocratique et la liberté des médias réussiront ensemble ou ne réussiront jamais.

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